Theodoros Karyotis
Traduction en français par Thierry Uso
Publié par Les Possibles, la revue éditée à l’initiative du Conseil scientifique d’Attac.
Dimitris Indares était encore en pyjama lorsque la police a frappé à sa porte dans le quartier de Koukaki, à Athènes, aux premières heures du mercredi 18 décembre. Peu de temps après, il était allongé sur le sol de la terrasse de sa maison, avec une botte de policier des opérations spéciales sur la tête. Lui et ses deux fils adultes ont été battus, menottés, les yeux bandés et placés en garde à vue. Quel était le crime d’Indares ? Il avait refusé de laisser la police passer chez lui sans mandat dans le cadre de son opération d’expulsion du squat qui se trouvait juste à côté.Le profil d’Indares n’est pas celui d’un squatteur. Un réalisateur de 55 ans, professeur d’école de cinéma, propriétaire d’une maison, politiquement modéré avec des opinions conservatrices, qui travaille dur pour que ses fils puissent aller à l’université. On pourrait dire qu’il est un membre typique de la classe moyenne grecque instruite et un électeur typique du parti de la Nouvelle Démocratie au pouvoir. Ce fait n’a pas empêché la police de porter contre lui des accusations criminelles fabriquées de toutes pièces, accompagnées d’une campagne de diffamation.
Le ministre de la Protection des citoyens a lui-même menti sans vergogne en disant que la police avait un mandat, qu’Indares avait résisté à l’arrestation et avait essayé d’arracher l’arme d’un policier, que ses deux fils étaient dans le squat voisin et avaient attaqué la police. Malgré les nombreux témoignages contraires et la fuite d’un enregistrement audio lorsqu’Indares était détenu qui réfute les accusations, les mensonges du ministre ont été répétés avec force par la machine de propagande du gouvernement : les médias de masse appartenant à une poignée d’oligarques alliés au parti au pouvoir.

tôt par le ministre lui-même, a menacé de démissionner à la lumière des preuves de brutalité policière, la presse grand public s’est empressée de qualifier le professeur de droit constitutionnel de gauchiste qui se range du côté des squatteurs.
Le cas d’Indares a eu beaucoup d’échos, avec de nombreuses dénonciations des manipulations policières et gouvernementales. Cependant, le gouvernement et ses faiseurs d’opinion ont refusé de faire marche arrière. Ce qui est préoccupant ici, c’est que cette vague massive de soutien n’est arrivée que lorsque les libertés civiles d’un « père de famille moyen » ont été violées.
Depuis que la Nouvelle Démocratie a remporté les élections avec un programme de « loi et d’ordre » en juillet dernier, la police agit comme une armée d’occupation dans les villes grecques, violant régulièrement les droits de l’homme et la dignité. Détentions arbitraires, tortures, passages à tabac, attaques au gaz lacrymogène, raids dans les cinémas et les boîtes de nuit, humiliation publique, insultes verbales, sont à l’ordre du jour.
Toutefois, tant que la violence arbitraire de la police était dirigée contre les manifestants, les jeunes, les étudiants, les squatteurs, les homosexuels, les immigrés ou les marginalisés, la réaction de l’opinion publique face aux violations flagrantes et quotidiennes des droits de l’homme était au mieux timide. Malheureusement, ces pratiques odieuses sont rendues possibles par le soutien actif ou passif d’une partie de la société grecque qui est convaincue que tous les moyens sont légitimes dans la lutte contre l’ennemi intérieur, même la violation des droits constitutionnels et de la dignité humaine.
Indares lui-même, dans des déclarations à la presse après sa libération en attendant son procès, semblait confus quant à ce qui l’avait vraiment frappé. Il était évidemment consterné par la campagne de diffamation menée contre lui, mais il semblait se considérer comme la victime innocente d’une guerre juste. Dans l’enregistrement audio du moment de son arrestation, qui a fait l’objet d’une fuite, on l’entend reprocher à la police d’« agir comme des anarchistes », alors que la possibilité que des anarchistes s’introduisent chez lui, le battent et l’enlèvent est inexistante. Dans son désir de rester impartial, Indares ne reconnaît pas le caractère arbitraire de la répression policière ni la déformation de la réalité par les médias, tant que des gens ordinaires, pacifiques et travailleurs comme lui, restent à l’abri de cette violence.
Mais ce sont précisément les citoyens ordinaires pacifiques comme lui qui ont le plus à perdre dans ce nouveau cycle de dépossession en Grèce.